Nudité & auto-censure
[TW : Nudité] La nudité, voilà un sujet bien difficile à aborder tant il peut faire polémique ! C’est pourtant un sujet qui me tient particulièrement à cœur, car j’ai toujours été fascinée par l’art du nu et les possibilités qu’offre le corps dans son plus simple apparat. Et pourtant, depuis des années, je m’auto-censure. Attention, cet article contient de la nudité, ne continuez sa lecture que si vous êtes majeur.e !
Cette attirance pour la nudité trouve sans doute ses origines dans mon enfance, lorsqu’en feuilletant un tome de la BD Thorgal que mon père avait laissé traîner là, je suis tombée sur les dessins envoûtants de la Gardienne des Clés et ses formes voluptueuses. À l’adolescence, c’est internet qui m’a permis de plonger dans l’exploration du nu, m’ouvrant les portes sur la découverte de nombreux artistes que ce soit dans les domaines de la photographie ou de l’illustration.
Alors, à 18 ans, j’ai commencé à poser nue. Non pas pour plaire ou pour charmer – ça ne m’intéressait pas, même si ironiquement je posais sur des sites d’Alt Porn comme GodsGirls, mais plutôt pour expérimenter.
Je voulais surtout redécouvrir mon corps autrement, appartenir à une communauté de nénettes osant s’affirmer et s’affranchir des diktats, et surtout me réapproprier cette enveloppe charnelle que je détestais tant en apprenant à l’apprécier par l’image.
Et puis j’ai eu un compagnon qui m’a fait comprendre que c’était inapproprié. Que nudité et pornographie restaient intimement liés, qu’une « fille qui se respecte » ne montre pas son corps au monde.
Même si je ne partageais pas cette vision et ces arguments irrecevables, même si ça m’horripilait de l’entendre parler de mes copines modèles comme « des putes qui posent à poil« , j’ai fait comme de nombreuses autres filles : j’ai tout arrêté, j’ai tout supprimé.
Je me suis coupée de ces communautés finalement pas aussi solidaires que je l’espérais, et je n’ai (presque) plus jamais posé nue, me contentant de quelques rares photos suggestives, accumulant sur mes disques durs des clichés qui ne seront jamais publiés.
Malgré mes convictions, je me suis auto-censurée, consciente que la nudité pourrait me porter préjudice, m’apporter des jugements malvenus, voire même servir de justification si un jour je venais à être agressée.
Et pourtant.
J’ai toujours du mal à comprendre la vision globale très paradoxale que notre société a sur le nu : nous avons d’un côté sacralisé le corps, faisant de la nudité quelque chose de tabou, considérant comme des « personnes aux mœurs légères » celleux qui s’affranchissent de toute pudeur. Mais à côté de ça, nous vivons dans une société hypersexualisée, où la nudité est omniprésente, où il devient difficile de regarder une série sans y voir un corps nu.
Je crois que ce qui m’a toujours dérangé, c’est la façon dont à notre époque, on lie intrinsèquement nudité et sexualité, au point d’être scandalisé à la moindre représentation de téton féminin. Bien sûr, je sais que l’on désigne généralement la photographie de nu comme « art érotique » et ce n’est pas pour rien. Je sais que j’ai une vision de la chose beaucoup trop naïve et complètement bancale.
Évidemment, je mentirais si je disais que je ne m’étais jamais essayée à l’art érotique en tant que tel. Passionnée de photographie appréciant les expérimentations diverses, j’ai bien sûr déjà joué sur ce tableau, dévoilant un peu de mon corps dans des photos qui transpirent le désir. Mais à chaque fois, ce n’est là que l’occasion de tester autre chose, un cadrage, un style, une lumière, et surtout, ce n’est pas tant à autrui qu’à moi-même que je cherche à plaire. Comme si j’avais besoin de me prouver que je peux me trouver désirable, malgré mes nombreux complexes. C’est en quelques sortes ma façon d’apprendre à me charmer moi-même. Je crois d’ailleurs que là se trouve l’un de mes plus gros biais cognitifs : j’ai envie de faire des photos où je me trouve désirable pour moi-même, mais l’idée qu’un homme puisse m’objectifier en me trouver désirable sur ces photos me répugne profondément. J’ai encore un gros travail à faire sur moi à ce sujet.
Toujours est-il que j’aimerais que l’on puisse voir et accepter le corps pour ce qu’il est : juste une enveloppe, ni plus, ni moins. PAS un objet de désir ou de plaisir : une enveloppe qui peut être magnifique au naturel et servir de muse créative ; une enveloppe qui renferme une âme avec sa personnalité, ses forces, ses blessures, ses faiblesses ; une enveloppe qui n’appartient à nul autre que cette âme. Quand je regarde un dessin ou une photo de nu, j’apprécie certes les formes et la beauté du corps, mais sans pour autant y lier une quelconque forme de désir. C’est sûrement pour ça, d’ailleurs, que je ne suis pas vraiment pudique : pour moi, le corps n’est qu’un corps. Nous sommes tous nés nus. L’important, ce n’est pas le corps mais l’âme, et un corps sans âme, aussi beau et harmonieux soit-il, est un corps sans intérêt. Car ce qui donne vie à l’humain, ce qui le rend attirant, désirable, beau, ce n’est pas un corps seul : c’est une aura. C’est tout ce qui se cache derrière la chair.
À mes yeux, nudité et sexualité DOIVENT pouvoir être dissociés, car l’un n’appelle pas nécessairement à l’autre. Le nu a toujours été une source d’inspiration et ce de tout temps, des statues de la Grèce Antique aux tableaux de la Renaissance. Voir dans une photo de nu un appel systématique à la sexualité, ça revient, selon moi, à objectifier le corps et donc la personne qui se trouve derrière. Je ne vois pas pourquoi le corps ne pourrait pas être regardé et apprécié sans aucune arrière-pensée, au même titre qu’une jolie photo de paysage ou qu’un portrait de chaton. Il y a tant matière à jouer avec les formes du corps !
Alors je sais que la frontière entre « nu artistique » et « pur voyeurisme » est ténue. Qu’il est difficile de faire la part des choses dans ce domaine, et que quand on parle de nu, on ne peut s’empêcher de penser aux photos de charme ultra vulgaires ou aux selfies miroir pris pour appâter en privé sur les sites de rencontre. Comment faire une distinction qui, quoi qu’il arrive, dépendra de notre sensibilité à tou.te.s ? Mais à ça, j’ai envie de dire : on s’en fout.
Car au final, PERSONNE n’a à vous dire quoi faire de votre corps !
Le fait d’être nu.e sur Internet ne fait pas de vous une pute, une salope ou « une fille/un homme sans respect pour elle/lui-même ».
N’oubliez pas que le vrai respect, c’est de faire ce qui vous semble juste, dans la mesure où vous ne faites de mal à personne, et que tout se fait de façon consensuelle (car prendre des photos de son corps, c’est OK, mais envoyer ces photos de façon non sollicitées, c’est pas OK !).
Alors, si vous avez envie de tenter l’expérience du nu, faites-le ! C’est comme pour tout : ne le faites pas pour autrui, ne le faites pas sous la pression (et surtout pas sous la pression d’un fauxtographe ou d’un conjoint trop insistant), mais faites-le pour vous. Votre corps vous appartient.
Je sais que je ne me remettrais sans doute jamais réellement au nu, mais si je le faisais, peu importe qu’il s’agisse de « nu artistique » ou de « photo de charme », j’aimerais être traitée de la même façon que je traite ceux qui le font : avec respect et tolérance, sans aucun jugement.
Parce que chacun est libre de son corps.
(Et je suis consciente qu’en publiant cet article les jugements pleuvront, pour certains parce que je me montre trop, que je dépasse les limites, que j’abuse ; pour d’autres parce que je ne me montre pas assez, que cette auto-censure est ridicule ou que cette vision naïve que j’ai de la chose est complètement absurde. D’autant que je sais que ma famille, ma grand-mère ou des « mauvaises personnes » liront très certainement cet article. Il est encore très difficile pour moi de m’affranchir des « qu’en-dira-t-on » en dépit de mes convictions, mais… Il est temps d’en faire fi 🙂 )